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jeudi 13 février 2014

Texte de DR sur mon travail, février 2014


Noémie Sauve
Aller là où le trait nous entraînera

Dans la frénésie de leur enchevêtrement, les traits des dessins de Noémie Sauve sont les acteurs d'une texture visuelle, d'une pâte nervurée et duveteuse, dont on ne détache le regard qu'avec regret. Les animaux qui en surgissent ne sont ni retenus ni attachés au blanc de la feuille par le trait, ils paraissent au contraire en émerger à la fois infiniment et tout en douceur. Le fond, les paysages, la figure s'estompent à mesure que le crayon avance pour converger vers une forme d'anamorphose dont l'unique juge est notre œil. Cet animal pubescent que je contemple ne pourrait-il pas d'un autre coup d'œil, sous une autre lueur, devenir le paysage touffu dans lequel il semble s'épanouir ?
Libérant le trait de sa fonction de régulation, Noémie Sauve permet à la couleur de venir ceindre, encadrer, recouvrir, ensevelir, ouvrir une dimension à laquelle le dessin s'adapte. La couleur écarte les mailles du trait, recouvre ses entrelacs et les met en relief dans l'espace ; elle adoucit et elle tranche.
En revanche, le trait est métonymique. Il est la chair autant que corps, et les brouillages qu'il opère ne se limitent pas à l'espace ou au milieu. Il se joue des époques et confronte, tout en liant, comme les titres nous y invitent : les chauve-souris sont tunées, le castor spolaire porte un masque de protection, les antilopes morfondues qui se lovent recèlent en leur sein un moteur de jaguar.
Les traits tirés ont leur logique propre ; en creusant ces sillons dans le papier, ils nous conduisent le long d'une sente. Cet aboutissement, c'est ce face-à-face avec la figure animale qu'organise l'œuvre de Noémie Sauve – sur quelque support qu'elle utilise puisqu'elle sculpte, peint, photographie, et met en scène ses tableaux selon une discipline disconographique ;vocable qu'elle a forgé et qui fait déborder dans le langage la danse des contraires que le trait sait dans le dessin réunir.
L'animal manifeste au sein de l'œuvre un souci qu'en l'absence de mots plus approprié on qualifiera d'écologique, en ce sens que celui-ci nous invite en permanence à interroger et à observer l'effet de la partie sur le tout. Elle y souligne par là ce qui fait le propre de notre paysage en ce début de XXIème siècle : l'affadissement des frontières entre l'urbain et le rural, et la façon dont cela affecte l'Autre habitant de ce monde qu'est l'Animal, traversé de toutes parts par la société humaine et ses affects sans autre alternative. L'animal n'est donc ni un faire-valoir de l'humain, ni le représentant de son espèce toute entière utilisée comme symbole, ni un leitmotiv permettant de susciter à bon prix l'empathie ou le rire. Il apparaît davantage comme une figure fraternelle traversée par nos instincts, qui permet à Noémie Sauve de creuser inlassablement cet espace de l'ambivalence qui le caractérise. Tout à la fois symbole du fond des âges, et acteur de la modernité, sa sauvagerie ne nous émeut que tant que nous la produisons ; sa domestication industrielle nous effraie en même temps qu'elle nous arrange. C'est à notre milieu d'animaux civilisés qu'il faudra poser des questions.
À de nombreux égards cette discipline insolente de tirer ces traits qui lient sans empaqueter évoque la musique : regarder cette entité pelucheuse me donne à entendre l'artiste faire patiemment émerger une figure d'un geste lancinant.  L'inlassable chk chk traînant de la pointe sur le papier nous fait ouvrir l'oroeil dont parle l'écrivain Christian Prigent. Pour jouer d'une homophonie qui ne déplairait pas à Noémie Sauve elle-même ce travail tient moins du souk que du zouk. Il s'agit moins de représenter avec art tout ce qui peut se trouver dans le monde, que par le biais de l'art, et de sa technique, de faire se rencontrer les contradictions principielles qui organisent notre monde. Faire danser ensemble, en un corps-à-corps charnel, à la cadence que leur imprime le trait de Noémie Sauve, l'amour courtois et la crudité de la pornographie, les formes savantes de représentations et l'expressivité des couleurs débridées du manga, phénomènes de modes humains et nécessairement éphémères et l'apparente éternité des symboles, la profondeur toute feinte de l'imagerie ésotérique   et la puissance de l'émotion qui traverse les animaux dépeints.
 



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