LES METAMORPHOSES DE LA FOUGÈRE
PAR SYLVAIN PARISOT & NOÉMIE SAUVE
PRIX BALZAC 2023
PRÉSENTATION RÉSUMÉE GLOBALE:
«Vous me donnerez un chaudron pour faire ma pâte, puis vous irez me chercher des tiges d’artichaut, des tiges d’asperges, des orties à dard, des roseaux que vous couperez aux bord de votre petite rivière. Demain matin, je sortirai de votre cellier avec du magnifique papier… » Disait David Séchard à son père dans les Illusions perdues de Balzac.
En lisant la Comédie Humaine de Balzac, il nous a semblé que les repas catalysaient des moments clés de transformations réelles ou fantasmées. Ici nous prenons la fougère du Lys dans la Vallée pour créer le lien d’une cuisine d’illusions à voir et à manger. La fougère peut être ingérée, peut être utilisée pour la fabrication du papier (matériau cher à Balzac dont il décrit beaucoup de principes et d’histoire notamment par le biais de l’imprimerie), la cendre de fougère, la potasse, était ajoutée au « verre de fougère » comme fondant au sable. Le verre permet de passer de la transformation à l’illusion. On pousse plus loin la transformation, Comme le repas qui nous change d’état, nous rassasie, nous endort, nous enivre. Nos préparations à voir et à manger se cuisinent sur un fond liant animal (colle de peau de lapin, lard fondu), où les instincts et les civilités s’organisent plus ou moins bien vers des formes imprévisibles. Pour la scénographie du jury, nous avons moulé nos mains d’artisans- L’artisan invente avec ses mains une matière transformée et soutient le rêve perdu des autres comme David Séchard soutient Lucien de Rubembré. Cette œuvre nous fait perdre nos repères. Ce paysage est-il toxique ou comestible? Animal ou Végétal?
PRÉSENTATION DES MÉTAMORPHOSES À VOIR
NOÉMIE :
En lisant ou re-lisant la Comédie Humaine de Balzac, il nous a semblé que les repas catalysaient des moments clés de transformations réelles ou fantasmées.
Une volonté de s’oublier ( peau de chagrin ) ou s’oublier involontairement ( splendeurs et misères des courtisanes ) changer ou vouloir changer de statut social ( Le Père Goriot, Illusions perdues ) se faire inviter et aimer dans un foyer ( La Rabouilleuse ) puis s’isoler par manque d’amour ( Une double famille ) ou pour rejoindre une autre communauté et quitter le cénacle et les bouillons de pauvres ( Illusions perdues encore ).
Les repas sont aussi des drapés, des vaisselles, des ivresses, des chaleurs, des gourmandises dans lesquelles se jouent d’autres enjeux politiques mis en scène par les femmes, aux couleurs des addictions : à un titre, à un aliment ( le vin, le café pour Balzac ) - Ingrédients obsessionnels des rêves qui nous tuent.
Nos préparations à voir et à manger se cuisinent sur un fond liant animal (colle de peau de lapin, lard fondu), où les instincts et les civilités s’organisent plus ou moins bien vers des formes imprévisibles.
Nous avons alors cherché, comme un lys dans la vallée, l’ingrédient qui traverserait nos métamorphoses à Sylvain et à moi-même, à cueillir dans nos paysages…
Dans la Comédie Humaine, le destin dépasse le personnage, le traverse. Il est plutôt le porteur que l’acteur, comme en cuisine : l’aliment peut jouer différents rôles, être bon ou mauvais selon le cheminement, le contexte. L’immensité des choix ne fait que renforcer le caractère fatidique du destin.
La transformation, les transparences et les opacités se mettent en scène. Les justices ne sont pas linéaires, les héros ne sont pas doués. Il n’y a pas de justice unique.
Ces flux sont des architectures invisibles, comme l’air qui souffle et forme le verre. Une fois que les propriétés plastiques, mécaniques du verre sont usées, on ne peut plus retourner souffler dedans pour le former. Il est cassant et ne se laisse plus négocier.
Le verre permet de passer de la transformation à l’illusion. On pousse plus loin la transformation, Comme le repas qui nous change d’état, nous rassasie, nous endort, nous enivre.
Ces transformations sont celles de l'oeuf, de la création, du génie. David Séchard prend les tiges d’artichaut, les tiges d’asperges, les orties, les roseaux pour créer le papier parfait, cuisine dans l’ombre une recette guettée…
L’artisan invente avec ses mains une matière transformée et soutient le rêve perdu des autres (comme celui de Lucien de Rubempré) qui prend pourtant la première place dans les « remake » où le travailleur s’efface et sans lequel, pourtant, plus rien ne se met en relief.
Ici nous prenons la fougère du Lys dans la Vallée pour créer le lien d’une cuisine d’illusions à voir et à manger. La fougère peut se manger, peut être utilisée pour la fabrication du papier, sa cendre, la potasse, était ajoutée au « verre de fougère » comme fondant au sable.
PRÉSENTATION DES MÉTAMORPHOSES À MANGER
SYLVAIN :
«Vous me donnerez un chaudron pour faire ma pâte, puis vous irez me chercher des tiges d’artichaut, des tiges d’asperges, des orties à dard, des roseaux que vous couperez aux bord de votre petite rivière. Demain matin, je sortirai de votre cellier avec du magnifique papier… » Disait David Séchard à son père dans les Illusions perdues de Balzac.
Nous vous avons réuni autour de cette table de papier de fougère dans la quelle nous avons moulé nos mains d’artisans. Ainsi, vous vous soumettez la transformation que nous vous proposons. Une certaine version du repas Balzacien tel un nouveau cénacle des illusions perdues (un cénacle de 13 personnes nous semblait plus Balzacien…/ 13 moulages de mains plutôt que 12 pour les 12 membres du jury). Un rituel où ces codes sociaux sont souvent lissés, où les manières peuvent laisser place au guet-apens du repas ou encore à l’aurore de l’ivresse.
Cette préparation retranscrit la transformation des aliments que nous avons choisi. Les faisant passer d’un statut modeste d’aliment courant et sans rareté à des aliments exceptionnels dû au changement d’état que la main de l’homme leur a octroyé.
Cette oeuvre nous fait perdre nos repères : Ce paysage est-il toxique ou comestible? Animal ou végétal? À l’image de Vautrin dans l’oeuvre de Balzac. Elle nous intrigue, nous déstabilise.
Elle pourrait nous changer nous-même d’état, nous stopper dans notre désir d’ivresse.
Cette cuisine d’illusions, comme le disait Noémie, pourrait se révéler surprenante et délicieuse si tous ces éléments une fois réunis donnaient naissance à l’alchimie parfaite.
L’autre facette abordée par cette préparation est l’obsession, voir l’addiction. Un jeu auquel nous vous invitons. Ici, cela est représenté par des choix d’aliments riches en acides glutamiques, un exhausteur de goût naturel qui est obtenu par maturation et décomposition des aliments.( Ici le Kombu, l’oeuf, la levure, l’ail)
Pour finir, j’ajouterais que les ingrédients, mais plus précisément les techniques, se font échos entre l’oeuvre de Noémie et la mienne. Comme dans la création de son papier, ces métamorphoses de la fougère, sont ici des mues nées de la cendre et des matières organiques.
RECETTE
NOÉMIE :
Cueillir des fougères
Les faire sécher avec du papier de soie (fibres de mûrier à papier ou murier de chine)
Tamiser et filtrer le mélange
verser la préparation sur un torchon tendu
Laisser sécher la préparation quelques jours
Une fois sèche, décoller la préparation devenue « papier de fougère »
Déposer cette nouvelle feuille sur un support hermétique
mettre à chauffer de la colle de peau de lapin trempée. L ‘étaler au pinceau autour du papier pour créer une surface d’accroche liante entre le papier et les formes à venir en sable, fougère et verre.
Saupoudrer de cendre de fougère puis de différents sables pour créer un effet de dégradé. Laisser sécher deux jours puis décoller cette peau armée de sable.
Placer le verre soufflé au bout du dégradé vers les transparences.
RECETTE SIMPLIFIÉE
SYLVAIN :
Coque fragile de papier de kombu, tapissée d’une feuille de capucine, farce de champignons, renfermant un cœur d’artichaut confit au lard farcis d’une crème de levure de bière dissimulée sous une lamelle d’œuf de 100 ans, ponctuée d’une pâte d’ail noir. Paysage imbriqué minuscule au creux de votre main, décoré d’une crosse timide de fougère aigle domestiquée et d’une algue croustillante dynamique parsemée de chips de pousses d’érable volantes.
RECETTE COMPLÈTE
SYLVAIN :
RECETTE DES MÉTAMORPHOSES DES FOUGÈRES
POUR 10 PERSONNES
COQUES DE KOMBU :
- 500g d’eau
- 50g de fécule de tapioca
- 50g de feuille de Kombu au vinaigre raboté
- 2g de sel
Faire bouillir l’eau puis verser sur la fécule de tapioca.
Bien fouetter, étaler cette préparation à 2mm d’épaisseur sur un silpat.
Effeuiller le Kombu et le coller sur la pâte de tapioca.
Faire sécher au four pendant 1 nuit à 60°C hourra ouvert.
Le lendemain, réhydrater rapidement la feuille dans l’eau.
Détailler à l’emporte pièce à la taille voulue.
Appliquer les feuilles sur un œuf préalablement huilé.
Faire sécher à nouveau au four pendant 3h à 60°C.
Démouler et stocker dans un endroit sec.
FOUGÈRE :
- 10 crosses de fougère
- 1L d’eau
- 100g de cendre de bois
Faire macérer pendant 6 jours dans l’eau froide mélanger à la cendre.
Retirer les fougères.
Porter à ébullition le mélange eau - cendres.
Blanchir minimum 1 minute puis les refroidir dans un récipient d’eau glacé.
Les effiler légèrement.
CRÈME DE LEVURE :
- 5 oeufs
- 50g de crème fraîche épaisse 60%
- 6g de levure de boulanger sèche torréfiée
- 10g de pâte de sauce soja
Dans un thermomix, mettre tous les éléments ensemble.
Mélanger en chauffant jusqu’à 90°C pendant 4 minutes.
Mettre en poche à pâtisserie.
Conserver au frais.
PÂTE D’AIL NOIR :
- 1 tête d’ail
- 10g d’huile d’olive
Faire sécher une jolie tête d’ail pendant 8h au déshydrateur à 60°C.
L’envelopper dans du papier aluminium et la mettre sous - vide.
Remettre au déshydrateur à 60°C pendant 3 semaines.
Éplucher et garder seulement la chair puis mixer avec l’huile d’olive.
Mettre en poche à pâtisserie.
ARTICHAUTS :
- 10 artichauts poivrade
- 200g de lard de colonnata fondu
- 1/2 botte de sauge
- Quelques brins de thym
- Pm = acide ascorbique
Tourner les artichauts.
Les réserver dans une eau acidifiée.
Faire chauffer le gras de cochon avec les aromates jusqu’à 85°C.
Immerger les artichauts dans le gras et confire pendant 35 minutes.
FARCE OIGNONS SHIITAKE :
- 4 jolis oignons
- 30g de shiitake séché et pulvérisé
- 100g de jus de champignons réduit à glace
- 60g de beurre
Faire confire à couvert les oignons ciselés avec le beurre.
Ajouter les 30g de poudre de shiitake et les 100g de glace de champignons.
Cuire jusqu’à obtenir une forme compacte.
OEUF DE CANARD DE 100 ANS :
- 3 oeufs de canard de 100 ans
Mettre à congeler les œufs pendant 1 nuit.
Trancher à 2 mm d’épaisseur à la machine à jambon.
Réserver.
CHIPS D’ÉRABLE :
- jeunes pousses d’érable
- huile d’olive
- Pm = sel
Tendre un film plastique sur une assiette, le huiler avec de l’huile d’olive.
Étaler les feuilles sur ce film et sécher à 60°C pendant 2 heures.
ASSEMBLAGES
Dans une coquille de mue de peau de Kombu, déposer une feuille de capucine pour isoler, puis à
la poche à pâtisserie, faire un gros point de farce de champignons.
Ensuite, placer le fond d’artichaut préalablement égoutté et séché. Le farcir de crème d’œuf à la
levure.
Recouvrir ces préparations d’un voile d’oeuf de 100 ans et planter la fougère badigeonné de
crème d’ail noir dans le jaune d’oeuf.
Décoration : feuille d’érable et Kombu frit.
PRÉSENTATION NOÉMIE SAUVE:
Noémie Sauve est une plasticienne curieuse des matériaux, dont elle explore les formes et les mécaniques pour dresser des iconographies de ses terrains d’enquête. Dans le Chef-d’œuvre inconnu, Maître Frenhofer, nous dit que la mission de l’art n’est pas de copier la nature, mais de l’exprimer. Ainsi, les recherches graphiques autour de l’animal ou du paysage servent ici de point de départ à un questionnement autour de nos libertés, de notre autonomie et de notre complexité. La passion pour l’atelier et les techniques artisanales rapproche également notre artiste de l’auteur de la Comédie humaine, ces éléments leur permettant de sonder les représentations et les imaginaires sociaux qu’ils libèrent. Depuis sa résidence Tara Pacific en 2018, on l’assimile davantage aux sujets liés à la science et l’écologie, mais cela serait trop réducteur, à moins d’entendre l’écologie strictement comme « l’effet du tout sur le tout ». Son parcours atypique l’amène à défendre de front de nombreux projets attenants, comme le Fonds d’Art Contemporain Agricole de l’association Clinamen (FACAC) ou encore le collectif OUVRAGES initié en 2020, qui organise des expositions et des résidences. Actuellement, Noémie Sauve donne forme à des dessins de sel, des sculpture en lave de cristal et en bronze fluorescent inspirés de sa récente résidence à Vulcano, dans les Îles Éoliennes de Sicile, où elle a réalisé un film sur les pratiques agricoles locale soutenu par le programme « Géohéritage » de l’UNESCO.
Le jury présidé par Guy Savoy entouré du chanteur Benabar, des artistes Eva Jospin et Fabrice Hyber, membre de l’Institut, de Bruno Dubois, professeur de neurologie, directeur de l'institut de la mémoire et de la maladie d'Alzheimer - (AP-HP), de Stéphane Layani, président du marché de Rungis, de Colette Barbier présidente de la Source Paris ou encore d’Yves Gagneux, directeur de la Maison de Balzac, de Romy Richter et Hector Arroyo, Associés chez Allen & Overy, partenaire du prix, de Florence Briat-Soulié, présidente du prix et de Florence Calvet, administrateur du Cercle des Amis de la Maison de Balzac (comité gastronomique ) distinguera un duo gastronomie et arts plastiques pour son édition 2023.
Cinq cuisiniers et cinq artistes plasticiens seront invités à collaborer pour créer une œuvre jumelée : la recette originale d’un plat et une œuvre inédite (peinture, sculpture, dessin ...), toutes deux inspirées de la Comédie humaine d’Honoré de Balzac. récompensera un duo cuisinier / artiste en 2023